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Ces mots qui blessent, réparation – Biennale de Dakar OFF

Ces mots qui blessent, réparation – Biennale de Dakar OFF

5-22 mai 2022, Dakar, Sénégal

Présentation

Qu’est-ce qui fait que ce monde est si violent, si maltraitant ? Pourquoi devrait-on subir puis faire subir les violences que l’on a soi-même vécu, et qui se répercutent indéfiniment sur nos âmes et dans nos chairs ? Qui peut juger de l’impact de certains mots qui marquent nos êtres de blessures répétées, injustes, douloureuses comme une lame qui pose sa marque impitoyable et indélébile sur un épiderme. N’est-ce pas lorsqu’on en définit l’origine que l’on peut enfin briser ce cycle ? Est-il encore possible de réparer ces blessures infligées ? Certain.e.s cherchent à les dénoncer, à l’instar de Doff et Aurélie Tiffy, tandis que certain.e.s nous diraient que oui, qu’il est possible de les dépasser en sororité, en communautés solidaires. C’est le cas de Ghizlane Sahli et Olga Yaméogo qui le démontrent ici par leurs œuvres.

Aurélie Tiffy nous parle de ces mots qui blessent et qui restent ancrés dans les pensées, qui ne font que creuser pour s’installer dans la chair et qui, avec le temps, sont de plus en plus lourds à porter mais qui finissent par faire partie de nous. Comme des blessures qui mettent du temps à cicatriser et qui semblent invisibles quand elles sont douloureuses au point d’en suffoquer la nuit au cours de cauchemars récurrents. Ces blessures, elle a choisi d’en parler par une série de photographies noir et blanc frontales, mystiques et sacrificielles. C’est d’une âme en tourment, d’une âme en feu, sous le feu d’un fer qui traverse les chairs. Elle nous dit « Voilà ce qui est ». Et ceci posé, cette artiste à vif offre le visage d’une femme positive pleine de vie et de force.

Doff retourne la lame qui l’a blessé contre l’agresseur. Non pas pour entretenir le cycle de la violence mais pour l’interrompre. Il cherche la force et la rédemption dans un acte créateur militant. Il traite d’une manière très directe des violences de la guerre, des violences que les humains s’infligent les uns aux autres, ainsi que de celles qu’ils infligent à la nature et à l’environnement. Ses toiles noires brulées très texturées sont comme des fragments de peaux creusées de cicatrices. Pour « Ces mots qui blessent » il présente une installation inédite, un trône en douilles de fusil qu’il a finalisé au cours d’un atelier participatif avec 15 jeunes en résidence à Mbao. Ce trône parle du despote, du roi, celui qui prend les décisions qui ne sont pas forcément toujours bonnes pour tout le monde. Doff parle de la question du pouvoir, de ceux qui ont le pouvoir et qui prennent les décisions pour les autres, ces décisions qui mènent à des guerres et aux inévitables terribles blessures qu’elles infligent.

Olga Yaméogo a choisi d’interrompre le cycle de la violence. Elle prône la tendresse, elle peint des figures très paisibles de sa famille, de femmes et d’hommes qui se prennent dans les bras, qui sont dans la douceur, dans le soutien, avec des couleurs qui invitent à l’intimité, à la chaleur, aux mots qui calment et aux soins. Ces figures de petites filles et de femmes sont, avant même la réparation, dans l’innocence. Ces moments de tendresse qu’elle représente expriment la sérénité de se sentir ensemble pour se préserver des douleurs de la vie. Pour réparer celles du passé comme pour prévenir celle du futur. Cette ancienne art-thérapeute nous propose une œuvre qui guérit.

Ghizlane Sahli, quant à elle, démontre les bienfaits d’un optimisme tenace. Dans plusieurs villes d’Afrique de l’ouest, elle mène un processus de travail où chaque œuvre est un cycle de 28 éléments auquel elle fait participer des femmes du territoire où elle pose son atelier. Ses œuvres sont très organiques, ce sont des cœurs battants, des organes qui respirent une joie et une beauté qu’elle voit dans la féminité et qu’elle vit à travers la sienne. Elle présente des broderies et des productions textiles très délicates, des tissages, des matières très fines et vives avec des couleurs vibrantes sur un velin d’Arches, un support qui est celui de l’écrit ou du dessin et qui est propre au masculin selon elle. Ghizlane Sahli refuse d’exprimer ce qu’il y a de négatif dans les relations de pouvoir et d’oppressions, elle active au contraire la parole pour chercher à s’en dégager. Sa série 28Xx pour l’exposition « Ces mots qui blessent » est le fruit d’un travail dirigé mené en atelier avec 20 jeunes femmes à Mbao. Pendant plusieurs jours, elles se sont rassemblées et ont abordé de nombreux sujets de société, et parfois plus personnels, tout en travaillant sur la production de cette œuvre collective. Ghizlane, attentive à chacune, tient la main de ces femmes pour la production d’un objet reflet de ce qu’elles sont, résultat d’un partage d’expériences et de savoirs, de sensibilités. Son œuvre est fête, célébration d’une féminité sans entraves, sans peur et sans tabou, régénérescence pour elle comme pour ses sœurs dont la joie et la confiance retrouvées font elles-mêmes partie de l’œuvre.

Marynet J et Alain Canonne

Dakar OFF